« Je suis Charlie », « Balancetonporc », «Pray for Paris », « Covid19 », « BENALLA », …
Alors que l’importance des actifs immatériels n’est plus à démontrer, lesquels constituent dans bien des cas l’essentiel de la valeur d’une entreprise, certains audacieux multiplient les dépôts sur des expressions en lien avec l’actualité dans l’espoir de les revendre immédiatement à prix d’or.
La titularité d’une marque permet en effet en principe de disposer d’un monopole dans l’usage du terme enregistré dans la vie des affaires. On comprend bien dès lors la valeur économique qu’une marque sur un terme faisant l’actualité peut avoir.
Et pourtant, enregistrer à titre de marque une expression déjà connue par le plus grand nombre dans l’espoir de surfer sur l’actualité est-elle vraiment une bonne idée ?
Des dépôts risquant un rejet par l’INPI
Pour pouvoir être enregistrée, une marque doit répondre à certaines conditions :
· Ne pas porter atteinte à un droit antérieur (marque, dénomination sociale, droits d’auteurs, droits de la personnalité, etc.)
· Être distinctive par rapport aux produits/services désignés par l’enregistrement
· Ne pas être déceptive, à savoir avoir pour but de tromper le consommateur sur les qualités du produit
· Ne pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs
L’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) qui est l’office français s’occupant de l’enregistrement des marques peut refuser d’enregistrer une marque au regard de ces 4 critères.
En 2015, l’INPI refusait ainsi l’enregistrement du terme « Je suis Charlie » en raison de l’absence de distinctivité du slogan dès lors qu’il avait déjà fait l’objet d’une appropriation par le public, et ce pour tous les produits et services.
Se basant cette fois sur le critère de la moralité et de l’ordre public, l’INPI refusait quelque temps plus tard l’enregistrement des marques « Pray for Paris » et ses dérivés, ces termes ne pouvant être captés par un acteur économique du fait de leur utilisation et de leur perception par la collectivité au regard des événements survenus le vendredi 13 novembre 2015.
Il se dégage une tendance de l’INPI à refuser l’enregistrement de slogans/termes se rapportant à des évènements tragiques.
Plus récemment, on a pu observer un grand nombre d’enregistrement de marques liées à l’épidémie du Covid-19 (par exemple une marque « COVID-19 » pour des produits de maroquinerie), lesquelles risquent d’être rejetées au motif d’une atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Des marques précaires
L’INPI ne réalise qu’un contrôle rapide au regard des critères évoqués. Cela signifie qu’une marque enregistrée n’est pas nécessairement une marque purgée de tous risques de contestations.
L’INPI ne procède ainsi pas à des recherches d’antériorité. Dit autrement, avoir obtenu l’enregistrement d’une marque ne garantit pas au regard du droit des marques d’être le titulaire légitime du monopole sur les termes enregistrés.
Lorsqu’une expression devient populaire, on observe en général des dizaines d’enregistrement portant sur les mêmes termes. Or la marque pour être valide ne doit pas porter atteinte à un droit antérieur, ce qui inclut de fait les marques enregistrées antérieurement. En théorie, seul le premier à enregistrer le terme est donc investit d’un monopole quant à son usage dans la vie des affaires.
Protéger son monopole est une démarche qui peut se révéler coûteuse en ce qu’elle nécessite de faire opposition à l’enregistrement des marques ultérieures, et donc de supporter les frais afférents devant l’INPI (400€ par action) ainsi que les honoraires du conseil rédigeant la demande.
Le second écueil concerne le risque de dégénérescence de la marque. Une expression rentrée dans le langage commun perd son caractère distinctif. C’est d’ailleurs sur ce fondement que l’INPI avait refusé l’enregistrement de la marque « Je suis Charlie ». Reprendre à titre de marque une expression populaire expose inévitablement cette dernière au risque de la voir perdre son caractère distinctif à court terme.
Par ailleurs et contrairement à une idée répandue, il ne suffit pas de payer le renouvellement de la marque pour que cette dernière continue à être enregistrée, encore faut-il une exploitation effective de la marque. Une marque non exploitée pendant 5 ans s’expose à la déchéance.
Enfin, être titulaire d’une marque ne confère pas à son titulaire une jouissance paisible. Les tribunaux restent compétents pour connaître d’actions d’un titulaire de droit.
Une pratique observée est l’utilisation du nom de personnalités faisant l’actualité à titre de marque : « BENALLA » ou encore « KING RAOULT ». Cette pratique est risquée en ce que la personne concernée pourrait demander outre la nullité de la marque l’octroi de dommages et intérêts.
De même, un slogan ou encore une expression peuvent potentiellement faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, sous réserve toutefois d’être suffisamment originaux. Dès lors, la reprise de ces éléments à titre de marque pourrait donner lieu à des actions en justice.
Conclusion
Loin d’être une bonne idée, l’enregistrement d’une expression au cœur de l’actualité est rarement rentable et se révèle souvent être un investissement en pure perte.
Une partie des demandes sont tout simplement rejetées sous le filtre de l’INPI.
Même lorsqu’il échappe au rejet de sa demande, le titulaire se retrouve dans la majorité des cas avec un titre sans valeur car précédé par un dépôt similaire (les « bonnes idées » étant souvent partagées par plus d’une personne).
Enfin, le premier déposant se voit quand-même exposé à plusieurs risques de taille : voir d’autres personnes exploiter la même marque sauf à ce qu’il multiplie les démarches pour faire valoir ses droits, perdre le caractère distinctif de la marque du fait de l’usage courant du terme par le public ou encore voir la validité de la marque remise en cause par un tiers et s’exposer à des dommages et intérêts.
D’une manière générale, si l’enregistrement d’une marque sur le site de l’INPI est une démarche à la portée de tous, il est fortement conseillé de se faire assister par un avocat spécialisé en propriété intellectuelle qui sera le mieux à même d’accompagner le projet dans sa durée.
Cédric DAVID
Juriste en propriété intellectuelle TIC
Elève-avocat au sein du cabinet Maître LESTURGEON-CAYLA
6 rue de cursol
33000 BORDEAUX
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